Angoisse d'écrivain qui ne sera jamais
Qu'est-ce que tu fais, alors, quand écrire a une fois de plus ce goût amer, ce parfum de trahison, de lâcheté sale ; qu'est-ce que tu fais, dis-moi, quand l'encre qui s'écoule ne rendra jamais la couleur du sang versé, quand aucun mot ne saura dire l'atroce réalité ? Tu aurais voulu être cette voix qui s'élève pour soutenir le monde, tu aurais voulu faire tenir entre tes phrases le poids des corps humains, que le papier absorbe les larmes. Mais tes poèmes ne sont ni tempêtes ni buvards, ils ne savent pas se faire entendre, et tu restes devant ta feuille blanche à aligner bêtement des lettres qui perdent leur sens. Où iras-tu, alors, quand tu auras renoncé à coucher les traits de cette Terre que tu peines à saisir, quand tu auras abandonné l'idée d'être homme parmi les hommes, et que la vie n'aura à tes yeux noirs que les contours d'une défaite annoncée ?
Où iras-tu, dis-moi, quand tu auras retiré de ta gorge toutes les paroles qui t'étouffent, et qu'il ne te restera plus rien à confier ?